Albus Dumbledore, un stoïcien

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Même si elles sont croustillantes et "bankables", les exagérations conduisent à des erreurs qui ont la dent dure, au point de se faire passer pour des vérités. Certes, les raccourcis sont attrayants, mais non ! Les Cyniques grecs ne s'exprimaient pas en aboyant, l'Épicurisme n'a jamais été le porte-drapeau des plaisirs débridés et les Stoïciens ne vivaient pas dans une absolue austérité.

J.K. Rowling n'est pas ignorante de la culture gréco-latine, elle la connaît finement, par leurs simples prénoms, Xenophilius et Remus peuvent en témoigner. Avec Albus Dumbledore, elle a campé un personnage qui, à bien des égards, est proche de ces stoïciens que furent Marc-Aurèle, Epictète ou Sénèque.

On a communément le sentiment erroné que la pensée stoïcienne rime avec privation volontaire des biens et des plaisirs matériels, il n'en n'est rien. Marc-Aurèle fut empereur, il ne vivait pas de mendicité ; Sénèque était un richissime conseiller politique ; l'ancien esclave Epictète devint un célèbre professeur de philosophie et fonda une école. Comme lui, Dumbledore porte une longue barbe mais la comparaison ne s'arrête pas là. À son image, Albus n'accepta aucune autre fonction que celles qu'il trouva au Collège de Poudlard. À l'instar de Sénèque qui a suivi de près l'éducation du jeune Néron, Dumbledore a installé Tom Jedusor dans les murs de Poudlard et a gardé un œil sur lui. Ils ne sont pas responsables de ce que ces deux-là sont ultérieurement devenus, chacun possède son libre-arbitre.

Vouloir sa vie et savoir mourir

Dans ces temps où exils, emprisonnements et morts violentes sont monnaie courante, il faut réussir à vivre et à agir avant de mourir. La ligne de conduite des stoïciens consiste à affronter les épreuves de la vie le plus joyeusement possible, nous entrons dans le territoire spécifique de ce qui dépend de nous.  La vie conduit inexorablement à la mort alors, ne la passons pas à courir après des chimères, épargnons-nous des déceptions inutiles. La seule bataille que nous sommes susceptibles de gagner, si nous nous en donnons les moyens, c'est notre liberté intérieure. Vouloir sa vie et savoir mourir, la boucle est bouclée.
Pour autant, comme l'écrit Marc-Aurèle dans les Pensées, "l'Art de vivre tient plus de la lutte que de la danse". Petit clin d'œil malicieux de Dumbledore à son aîné : il aime danser et ne s'en prive pas. Toutefois, il ne craint pas de s'engager dans la lutte, l'Ordre du Phénix et ses membres sont là pour le prouver.

Certes notre Dumby a fait des erreurs, il serait vain et vaniteux de résumer sa vie à ses errances de jeunesse ; ce qui importe ce sont les enseignements qu'il  a su en tirer pour lui-même et pour les autres. Dumbledore, comme tout stoïcien qui se respecte, est capable de partager les expériences de son existence, du moins avec qui est en possession de cette subtile intelligence rarement mise en valeur : celle du cœur. 

Que partage Voldemort avec autrui ?

RIEN ! Les autres ne sont que des jouets entre ses doigts de marionnettiste. Il se met d'ailleurs le doigt dans l'œil parce que le processus irrémédiable de sa nature d'humain aura raison de lui. Poursuivant une chimère vieille comme le monde, Voldemort s'est partagé avec lui-même en se morcelant en Horcruxes ; il a tout misé sur une vie physique immortelle et il a perdu.
Au contraire, le stoïcisme à la romaine revendique les liens avec la Nature et avec ses semblables, telle est la puissance d'une vie qui veut la vie. Partir à la conquête de son humanité suppose qu'on soit capable d'exercer ses facultés de jugement pour gérer ses impulsions et désirs inutiles, on devient alors le seul maître à bord. Après avoir appris à vivre, les stoïciens apprennent à mourir. Cela ne signifie nullement qu'ils sont au service de la mort, ils ne sont pas animés par un désir irraisonné de mourir, s'ils ont parfois recours au suicide c'est seulement après de sages réflexions. Avant de se donner la mort, Sénèque s'en est longuement expliqué et Dumbledore a fait de même.

La vie avant tout

Tel est l'enseignement posthume qu'Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore transmet à Harry Potter lors de leur discussion symbolique dans la gare de King's Cross. Le Survivant a la liberté de choix, il a toutes les raisons de vouloir la mort et pourtant il choisit de vivre. Quant à celui qui, dans sa folle entreprise, était convaincu de tout maîtriser, celui qui était appelé "Seigneur des Ténèbres" par ses admirateurs, il meurt dans l'incompréhension de ce qui lui arrive.

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Commentaires

1. Le samedi 21 août 2021, 17:45 par Joplin

Un énorme bravo, Mirabelle, pour cet article de fond qui aurait pu être ardu à lire. Il est remarquablement rédigé. J'ai beaucoup apprécié les comparaisons que tu évoques ainsi que tes conclusions. Tu as une plume exceptionnelle qui rend totalement accessible des notions difficiles. Ce commentaire ne résume vraiment pas bien ce que je voudrais exprimer mais je ne trouve pas, hélas, les termes appropriés.

2. Le Dimanche 22 août 2021, 14:56 par Matka

Cet article est très bien rédigé, et particulièrement intéressant. Je noterai juste une petite incohérence. Tu écris en effet : "À son image, Albus n'accepta aucune autre fonction que celles qu'il trouva au Collège de Poudlard." Or, si Dumbledore a bien refusé le poste de Ministre de la Magie, il n'était pas que professeur puis directeur de Poudlard : il était aussi président-sorcier du Magenmagot et Manitou suprême de la Confédération internationale des sorciers. A part ce détail, la réflexion que tu proposes est très bien menée et fascinante !

3. Le vendredi 27 août 2021, 22:22 par Helena Sangrey

Un grand bravo à l'auteur, je raffole de la philo alors un article, d'une tel qualité, sur un sujet comme ça, je ne pouvais que adorer <3
Moi je le voyais comme un hédoniste.
Merci